Aujourd’hui, votre écrivain public préféré vous emmène à la rencontre de Mereana Cheung, artisan-graveur sur tous types de support. C’est dans son atelier situé à Paea qu’elle nous reçoit.
Mereana Cheung n’a pas toujours été artisan-graveur. En 2014, lorsqu’elle décide de se lancer dans la gravure du granit, elle occupait un poste d’assistante administrative dans un bureau de défiscalisation. A cette époque, l’avenir de ce domaine semblait assez incertain et il lui a paru inévitable de devoir se préparer à une éventuelle perte d’emploi.
La gravure sur granit
Par un couple d’amis entrepreneurs funéraires, elle entend régulièrement parler des problèmes qu’ils rencontrent avec leur fournisseur de plaques de granit gravées. C’est au fur et à mesure de leurs rencontres que l’idée grandit en elle de s’intéresser à ce domaine. Elle n’a, bien sûr, aucune connaissance ni aucune formation de base. Elle décide donc d’apprendre en autodidacte. “J’ai d’abord regardé des tutoriels sur Youtube pour savoir quelles étaient les machines utilisées. J’ai vraiment épluché les sites funéraires pour avoir des infos sur le granit, les plaques, tout quoi !”. Après toutes ces recherches, Mereana est décidée. “J’ai fait un prêt perso. J’ai acheté la sableuse, le corindon, le papier à sabler et une machine laser, mais je ne savais pas du tout m’en servir. Quand j’ai reçu ma machine en fin 2013, je me suis mise à temps partiel sur mon poste pour avoir du temps pour mon activité.” Au début, Mereana apprend, sur le tas, l’utilisation de ses machines. “J’ai fait beaucoup de tests et il y a eu pas mal de ratés ! Je suis allée voir les entreprises funéraires locales pour savoir s’ils ne proposaient pas de stage. J’étais même prête à payer le stage juste pour être formée ! Mais non, ils ne font pas ça !”
Un saut dans le vide sans parachute
Malgré tout, Mereana continue de se former toute seule. Elle apprend à maîtriser l’utilisation de la sableuse, affine les réglages. Sa clientèle, principalement fournie par les entreprises funéraires, se développe de plus en plus, ce qui la mène, finalement, à s’y consacrer à temps plein. “Le 9 mai 2017, j’ai démissionné. C’était le flip total ! Je me demandais comment j’allais faire si je n’avais pas de client ! Tant que tu es salariée, tu as un peu de sous qui tombent, mais là, tu dois faire ton salaire, il y a la CPS à payer, ça fait peur tout ça ! Tu sautes dans le vide, et tu n’as pas de parachute.” Mais Mereana reconnaît aussi le côté excitant de l’aventure. “Il n’y a pas de secret, si je ne travaille pas, j’ai pas de sous, donc on bosse, on bosse…”.
Une formation au marketing
En mars 2016, Mereana intègre la Business Maker Academy, où elle apprendra, entre autres choses, à utiliser Facebook pour faire son marketing. Retrouvez son témoignage ici à propos de la BMA.
Elle fera partie, durant un an et demi, du collectif “Terre d’Art Tahiti”, où elle apprendra l’art de mettre en valeur ses créations lors des expositions. “Les artisans métropolitains ont une façon différente de présenter leur étal. Ils font tout une mise en scène, ils jouent sur le tissu, les formes, les volumes. Ils m’ont aussi aidée à mettre un tarif sur mes réalisations. C’est vraiment un plus. C’est la même chose pour le packaging, l’emballage. C’est aussi là que j’ai réalisé que le “fait main” est d’une grande valeur et qu’il y a une clientèle qui recherche cela.”
Le bouche à oreille, la page FB lui permettent de diffuser ses créations. Toutefois, Mereana n’a pas encore réussi à dégager un bénéfice suffisant pour se constituer un salaire : “Je gagne tout juste de quoi payer mes factures.”
Diversifier ses activités
En plus de la gravure sur granit, qui représente actuellement 80% de son chiffre d’affaire, Mereana a développé la gravure sur verre à la main. “Je suis une artiste. Je préfère consacrer mon temps à réaliser les motifs qui seront gravés sur les pièces de verre. C’est pour ça que j’ai embauché une personne à mi-temps. Je la forme sur l’utilisation de la sableuse pour qu’elle s’occupe de répondre aux commandes. A côté de ça, je compte travailler avec une autre personne pour la gravure du verre. Je garderai les grosses pièces et elle s’occupera de graver les autres pièces avec les motifs que j’aurai réalisés.” Le souci principal auquel Mereana est actuellement confrontée est la constitution de son stock. C’est ce qui l’empêche de pouvoir démarcher auprès de gros clients, comme les hôtels, par exemple. “Pour la suite, j’ai vraiment envie de me consacrer à la gravure sur verre à la main, pour une clientèle haut de gamme.”
Les motifs marquisiens
Les gravures sur verre de Mereana représentent toujours des éléments, des motifs du tatouage marquisien. “J’aime beaucoup les motifs marquisiens et pour moi, le tatouage n’est pas qu’esthétique. Les symboles sont emplis de “mana”, ils sont liés à des familles, à des castes et il faut les respecter. Certains symboles ne peuvent pas être associés car les “tupuna” auxquels ils appartiennent étaient ennemis. J’explique ça à mes clients, mais certains ne m’écoutent pas. Quelquefois, je ne peux pas graver, ça ne passe pas, ce qui m’oblige à m’adapter. Quand je termine une pièce et que je me sens bien, je sais que mon travail a été “accepté”. »
Des difficultés personnelles
Une chose que Mereana a remarqué depuis la création de son entreprise, c’est le lien qui existe entre la bonne marche de son business et l’état de son moral. L’an dernier, elle traverse une période difficile à cause de sa santé qui a directement impacté sa vie de couple. “Parce que je n’étais pas bien physiquement et moralement, il n’y avait pas de clients qui m’appelaient, c’est comme si on me laissait tranquille. Dès que j’ai commencé à aller mieux, les commandes sont revenues, en mp, par mail. Le business est intimement lié à la vie privée.” C’est en grande partie grâce aux séminaires de développement personnel mais également au soutien de ses amis que Mereana a réussi à surmonter ses difficultés. “Maintenant, j’ai pris du recul, j’ai reconnu ma part de responsabilité dans nos problèmes. C’est ce qui a été le plus dur. J’ai appris à communiquer différemment. Quand on lâche prise, le business est vraiment florissant.”
Son message
“Fais ce que tu aimes, ce qui te passionne, ce qui fait vibrer ton âme. Se lancer dans un business qui est ta passion, même quand les fins de mois sont un peu difficiles, c’est ça la Vie ! Il faut affronter les difficultés avec courage, avoir suffisamment de respect pour soi pour reconnaître ses propres erreurs et assez de tolérance pour reconnaître sa propre valeur.”
Vous pouvez retrouver Mereana et ses oeuvres sur sa page FB “Hono a Kahuna” et sur son site www.gravuretahiti.com
Texte et photo: Meria Orbeck / Avril 2019